Triptyque à l'escabeau
Exposition Horizons d’énigme, à Centrale 7 (Centre d’Art contemporain, Nyoiseau)
Triptyque à l’escabeau est composé de trois peintures distinctes, réalisées en 2016 et peintes sur toile montée sur châssis. Chaque format mesure 195 cm de haut par 130 cm de large. Les techniques sont mixtes. Les peintures sont en dominante de noir et blanc et nuances de gris avec un seul élément en couleur pour deux d’entre elles.
J’ai débuté ce travail avec comme contrainte l’utilisation du noir et blanc et du gris. Cette règle s’est vue transgressée par l’apport d’un élément bleu turquoise et d’un autre rouge. Cette entorse obéit à une « nécessité » au sein du triptyque. Le panneau que j’appelle Le pantalon rouge a trouvé naturellement sa place au centre du triptyque.
Il s’agit d’une allégorie non dénuée d’ironie du rapport de l’artiste à la création.
La présentation du triptyque nécessite de laisser un espace de 15 cm entre chaque toile ; ni trop important, ni trop serré, pour suggérer qu’il s’agit bien d’un ensemble, mais aussi de trois moments non chronologiques du processus de la création.
Le premier moment (celui que je place au centre) correspond au désir de faire, à l’intention. C’est le personnage qui tente maladroitement de monter sur l’escabeau (Le pantalon rouge). On crée pour échapper à quelque chose, une condition sur terre, un quotidien, un ennui, une pesanteur, une soif de s’élever… Mais le parcours est semé d’embûches et il est certain que l’on se prendra « les pieds dans l’escabeau ». La possible chute est comme la condition de la progression.
Un autre moment est l’immersion totale dans le faire : c’est le personnage qui plonge dans un marécage, une eau stagnante. J’appelle ce tableau : Le plongeon. Le peintre doit passer par cet aveuglement de l’action et l’accepter. Il n’a pas d’autre choix que de plonger dans la peinture pour essayer d’en tirer quelque chose. Il y a un caractère grotesque dans cette posture – les jambes en l’air, qui peut évoquer le célèbre tableau de Breughel La chute d’Icare. Le personnage semble être totalement entraîné dans cette chute. Le plongeon est subi plutôt que résolu.
Enfin, le dernier moment est celui de la réflexion, de la prise de recul. Le personnage est assis, se repose ou bien il médite. Ce panneau s’intitule Et après. L’individu est seul dans un paysage désolé. La perspective emmène le regard vers une grotte ou une cavité. Le ciel laisse poindre une lueur douce. On distingue au sol la silhouette claire d’un oiseau. S’agit-il d’un oiseau de mauvais augure ?
Ces moments ne doivent pas se lire de manière chronologique, car les stades du processus créateur ne se succèdent pas de manière droite ou rectiligne. Au contraire on assiste à des allers-retours, des changements. Le regard navigue, semblablement, d’une toile à l’autre, s’approprie l’image pour qu’elle continue de résonner en lui et suscite l’imagination.
L’EAU
L’eau est présente dans chaque tableau. Ce ne sont pas vraiment des eaux claires, brillantes et printanières mais plutôt des eaux dormantes, des eaux mortes, des eaux profondes, pour reprendre les mots de Gaston Bachelard. L’eau ici ne renvoie pas de reflet, elle n’est pas le miroir du ciel non plus. Une souche prend racine dans une mare sombre, un corps plonge dans une eau marécageuse, des orteils effleurent la surface d’un étang silencieux. Ces images d’eaux donnent à l’imagination l’occasion de pénétrer à l’intérieur de la matière, de rêver l’eau dans sa substance.
Dans ce triptyque, la matière de l’eau est chargée d’ombres, de regrets, de souvenirs. Elle absorbe tout ce qui meurt en nous. Malgré tout elle peut s’animer d’un ondoiement, d’un frémissement.
« Eau silencieuse, eau sombre, eau dormante, eau inviolable, autant de leçons matérielles pour une méditation de la mort. » (Gaston Bachelard)
L’image de l’eau dans cette oeuvre est éloignée des idées joyeuses, parfois naïves que l’on associe à l’eau. C’est une eau spéciale, lourde et lente. Elle est l’élément qui va déclencher l’écho dans une rêverie particulière avec les méandres de la conscience. J’adhère à l’idée de Gaston Bachelard qui suppose que l’imagination créatrice consiste à déformer les images fournies par la perception. Imaginer est un acte de liberté qui consiste à se détacher d’une image présente, à la transformer pour en inventer une autre qui, à son tour, deviendra le support d’une nouvelle création. Ainsi, je cherche à créer une mobilité des images, afin qu’elle possède une capacité d’évoquer, d’appeler d’autres images. C’est l’imagination matérielle de l’eau, qui associé aux trois personnages du triptyque, créent des images non statiques. Le personnage du tableau Plongeon par exemple, se débat-il ? Se noie-t-il ? Plonge-t-il avec délectation ? Est-ce le début ou la fin d’un jeu ? Autant de questions qui restent en suspens, auxquelles on ne peut répondre définitivement.
L’arbre, ainsi que le plongeur s’enfoncent dans une eau épaisse, marécageuse, résultat de l’union de l’eau et de la terre. De cette union naît la pâte, le visqueux. Dans la pâte, la forme est évincée, dissoute. la pâte nous donne une expérience première de la matière. L’eau associée à la terre est ce qui délie et ce qui lie, il y a une forme d’ambivalence. Le pouvoir de lier, attribué tantôt à l’eau, tantôt à la terre, est à l’origine du visqueux. Le visqueux, c’est l’intermédiaire entre l’imagination formelle et l’imagination matérielle. La peinture, la pâte que l’artiste utilise, les formes et matières qu’elle fait naître, coïncident totalement à l’imaginaire du visqueux. Les images qui unissent l’eau à la terre se fondent sur une expérience tactile, de la même manière l’expérience du peintre a quelque chose de tactile autant que visuel. La rêverie qui naît du travail de la pâte exprime la joie de pénétrer à l’intérieur de la substance, de vaincre la terre, de participer à la force dissolvante de l’eau et de retrouver les sensations premières de l’enfant qui joue avec la boue et les flaques d’eau.
Le noir et blanc évoque naturellement la nuit. La nuit n’est pas une substance matérielle, mais l’imagination souvent rêve la nuit comme une matière qui pénètre les choses. La nuit va imprégner les eaux en présence, eau de la marre, de l’étang, du marécage. L’eau pénétrée par la nuit se peuple parfois de créature ou de monstres. Elle exprime les peurs, les remords. Par exemple, dans le tableau Et après, on distingue la silhouette d’un oiseau étrange. Dans le tableau Le pantalon rouge, une tête décharnée est représentée dans un tableau posé au sol, au bord de l’étang. Mais l’eau et la nuit peuvent aussi unir leur douceur. Cette douceur c’est la lumière elle-même présente dans les trois tableaux. Une lumière diffuse, lunaire, équilibrée par l’utilisation du clair-obscur.
La fluidité, la pâte, le visqueux sont les ingrédients du peintre. Il ressent charnellement cette matière qu’il utilise, elle le fait imaginer. Des images naissent de la substance de l’eau comme d’un germe, l’eau nous porte et communique avec notre inconscient. La fluidité est le désir même du langage pictural. Il veut couler comme l’eau. Tout en restant matière, pâte, viscosité, il souhaite échapper au règne de la matière pour dire l’invisible.
Triptyque à l’escabeau, 2016
Série
HORIZONS D’ENIGME
présentées à Centrale 7 (centre d'art et de résidence d'artistes) pour l'exposition Horizons d'énigme.
« L’horizon est cette ligne imaginaire entre terre et ciel, une étendue, dont l’observateur est le centre. C’est à lui de dire ce que recèle l’horizon : mouvements, formes, créatures devinées, organiques, animales, c’est selon. Ces métamorphoses successives demeurent mystérieuses : tout est toujours à naître. Le regard crée. Sans résoudre l’énigme de l’oeuvre, il la réinvente à l’infini. » Extrait du texte écrit par le poête Etienne Paulin pour la présentation de l’exposition « Horizons d’énigme ».
« Oublié » est le sous-titre de cette série. Il évoque le morceau de tissu (le drapé) qui a été laissé, oublié dans l’espace naturel (le paysage). Un résidu d’une présence humaine ? La figure animale, singe ou autre, interroge cette présence incongrue dans son univers naturel. Cette relation questionne aussi notre rapport à la nature. « Oublié » , c’est aussi ce que l’on oublie de regarder, ce à quoi on ne porte pas attention. Un simple morceau de tissu, banal, qui « traîne » dans l’atelier peut déclencher un désir, une image. Un regard attentif, neuf, sur une chose simple et commune, peut devenir digne d’intérêt et poétique.
Plus généralement, le drapé renvoie à la peinture classique et devient un clin d’oeil à ce que nous ne devons pas perdre de vue, au lien que nous entretenons, inconsciemment parfois, avec l’art, l’histoire, la culture.
Horizons d’énigme ◦ Oublié, n°1, 2, 3 , 4, 140 x 800 cm, 2016